C’était au début des années 2020 dans cette bonne bourgade de Grenoble. Le sieur Ferradou avait pris la parole dans le journal local. Connu comme écrivain (auteur notamment de Contes et Légendes du Vercors et des Quatre Montagnes, Grenoble le voyage immobile, Rome insolite ou Coron’haïkus) et pour ses multiples engagements dans différentes structures patrimoniales locales (la fondation du patrimoine, le centre généalogique du Dauphiné, l’académie delphinale, la société des écrivains dauphinois, etc.) il s’exprime cette fois au nom de l’association Patrimoine et développement du Grand Grenoble, qu’il préside. Cette association née en 1965, qui a pour but de « faire découvrir, valoriser, réhabiliter, sauvegarder les patrimoines de la cité », a des problèmes de « loyers impayés » : c’est pour ça que le sieur Ferradou parle au Daubé (8/06/2021). Depuis 2002, l’association a un petit local rue Chenoise, mis à disposition par la ville « moyennant un loyer proportionnel à la subvention annuelle que la Ville lui avait accordée ».
Mais depuis 2019, la mairie ne verse plus d’aides à l’association, qui ne parvient donc plus à payer son loyer, entraînant « des poursuites pour non-paiement des loyers, avec une menace de blocage des comptes bancaires et les huissiers à la porte ». Le sieur Ferradou alerte donc sur la situation, et interpelle la ville de Grenoble qui a l’air bien disposée : dans l’article, on apprend que l’adjoint à la mémoire Emmanuel Carroz a annoncé la suspension des loyers et des recours, ainsi que de la bonne volonté pour trouver une solution. Quatre ans plus tard, l’association est toujours dans les mêmes locaux.
Par ailleurs, le sieur Ferradou connaît bien la question des loyers impayés, mais plutôt vue depuis « l’autre côté ». Au service de la publicité foncière des impôts, on peut se rendre compte que Claude Ferradou, en son nom, avec ses frères Alain et Patrick, ou à travers ses nombreuses SCI (Société civile foncière grenobloise, Dauphimmo, Immobilière porte de France, Foncipierre, Dauphinvest, SCI Grenobloise de Patrimoine, SCI Le Miradou, Maison Romaine, CP&E) est propriétaire de plus d’une centaine de biens immobiliers : 80 appartements (la moitié à Grenoble, une douzaine à Toulon, et d’autres à Villard-de-Lans, Pont-de-Claix, Échirolles, Seyssinet-Pariset, Saint-Martin-d’Hères, Chamrousse, Villeurbanne, Vichy), trois maisons (en Lozère, en Ardèche ou en Corrèze), et une vingtaine de parkings, sans compter les nombreuses caves ou greniers.
Parmi ces biens, sept appartements grenoblois figurent tous dans une seule et même maison, au 16 rue Anatole France, la villa « les cyclamens », construite en 1936 par le grand-père maternel du sieur Ferradou, le docteur Ferrieux. En janvier 2024, elle a été classée au « titre des monuments historiques » au motif qu’« il s’agit d’un rare ensemble à la fois bâti et paysager en milieu urbain et isérois en particulier, conservant un exemple caractéristique du jardin Art déco incluant la dimension sportive, ainsi que de l’architecture de villégiature néo-basque ».
Un tel cadre donne envie d’avoir la chance d’habiter là. Thomas a fait partie des personnes ayant tenté l’aventure, avant de vite déchanter. « Quand on a visité notre appartement, il était délabré. On a demandé à l’agence qui nous louait de faire des travaux en échange d’être remboursés des frais ou d’avoir des mois de loyer gratuits. Ils étaient d’accord pour rembourser tous les frais. On en a eu pour 1 500 euros, en plus du temps passé… On a envoyé les factures une fois les travaux finis, sans avoir de réponse. Après une relance, ils nous ont dit de renvoyer les factures…. Pour finalement nous annoncer qu’ils ne nous rembourseraient pas. On avait fait la bêtise d’avoir seulement un accord oral et pas écrit. Le pire c’est qu’à la fin ils ont même gardé la caution, en nous remboursant juste vingt euros. » Plusieurs autres anciens locataires confirment le mauvais état général des appartements, très difficiles à chauffer. « On payait une blinde en chauffage mais l’hiver il faisait 13°C dans la chambre de notre petit. Il n’y a jamais eu de DPE (diagnostic de performance énergétique) ici, alors que c’est une obligation légale », illustre Thomas. En cause, l’absence d’isolation et une vieille chaudière à fioul peu performante, aux émanations importantes imposant même à certains locataires de fermer leurs fenêtres l’été. Les odeurs de fioul sont un sujet de préoccupation pour les parents d’élèves de l’école mitoyenne.... Une autre ancienne locataire nous raconte : « On a fait plusieurs demandes d’intervention en se faisant balader. Il a fallu que les services sanitaires de la mairie fassent une mise en demeure et un arrêté de péril pour qu’il accepte de faire quelque chose… Tant que les travaux n’étaient pas faits, pendant quatre mois, on n’a pas payé de loyers... Les travaux ont surtout réduit les émanations mais pas réglé le problème de la passoire thermique » En 2023, le chauffage a coûté 1800 euros par appartement. Des locataires disent que leurs fenêtres simple vitrage ont été changées seulement après avoir envoyé des vidéos montrant que la pluie passait à travers. Thomas raconte la fin de son histoire avec la villa des Cyclamens : « Quand l’agence a su qu’on avait contacté l’Adil (agence départementale d’information sur le logement) ils ont voulu nous faire partir en ne renouvelant pas le bail, alors que la reconduction était tacite. Ils nous ont même envoyé des huissiers…. De guerre lasse, on est partis. »
Mais qu’en dit le sieur Ferradou ? « On vous a donné des informations erronées » s’emporte-t-il quand le journaliste du Postillon finit par l’avoir au téléphone. « On va en rester là, je n’ai pas de commentaires à faire sur le sujet. Votre démarche est assez indiscrète… Si nous voyons des choses désagréables, nous serons obligés de réagir », menace celui qui a aussi été avocat spécialiste du domaine funéraire et qui est toujours conseiller municipal d’opposition à Villard-de-Lans. Faudrait savoir : on va en rester là, ou on va pas en rester là ? S’il déclare n’avoir qu’une petite « résidence secondaire » là-bas, ça fait un moment qu’il y est élu, ayant même été adjoint lors de la précédente mandature.
Impossible donc de connaître l’histoire de la fortune familiale. Ce qui se dit dans la Cuvette, c’est qu’un de ses aïeux, Albert Ferradou, a fondé à la fin du XIXème siècle la banque Ferradou & Cie (qui deviendra banque de l’Isère) et aussi la société des moulins de Villancourt (qui sera ensuite cédée aux biscuits Brun). Le père de Claude Ferradou, René, dirigea la banque de l’Isère avant qu’elle ne soit fusionnée dans les années 1970 avec la banque Nicolet-Lafanechère puis que les deux soient absorbées par le Crédit du Nord [1].
Un passé familial dans la banque doit certainement aider à se constituer un patrimoine immobilier aussi conséquent. Dommage qu’il n’ait pas également permis de rénover un minimum les passoires thermiques le constituant, et que Claude Ferradou n’ait pas trouvé dans tous ces biens un petit local pour y loger son association patrimoniale.