Week-end de fin août, sur le marché de l’Estacade : trois personnes font signer une pétition contre une décision de la mairie. Des socialistes revanchards ? Des carignonistes en train de traquer ceux qui ont « ruiné Grenoble » ? De simples citoyens déçus ?
Leur identité est un peu plus surprenante : à côté de Bruno de Lescure (président de l’union de quartier Saint-Bruno et très actif contre les projets immobiliers des municipalités Piolle et Destot), il y a Raphaël Juy et Michel Vernerey.
Raphaël Juy, membre du Parti de gauche (PG), était présent sur la liste menée par Piolle « Grenoble, une ville pour tous ». Depuis quelques mois, il fait partie de ceux qui aimeraient que le PG se désolidarise de certaines décisions municipales (voir page 6-7).
Michel Vernerey était, lui, jusqu’à peu, président du Réseau citoyen, une des composantes de la majorité (1).
Deux proches de la municipalité s’activent contre une décision de la municipalité : celle concernant le stationnement. Au conseil municipal de juin, la majorité a voté l’augmentation brutale des tarifs de stationnement. C’est qu’il est loin le temps de la campagne électorale : l’engagement n°49 promettait un « diagnostic partagé sur l’état du stationnement » afin « d’identifier des solutions qui seront soumises à consultation ». Aujourd’hui : aucune trace de consultation dans cette décision, comme dans le mal nommé « Plan de sauvegarde » des services publics. Sont-ils passés en force pour défendre l’intérêt supérieur de la santé des habitants ? Contrairement à ce qu’affirme la communication municipale, l’efficacité de cette décision dans la lutte contre la pollution est loin d’être évidente, comme le remarquait dans un mail interne l’adjoint aux finances juste avant le vote (voir encart). Elle vise d’ailleurs avant tout à rapporter de l’argent à la mairie, et va en faire gagner beaucoup à une société déjà millionnaire : pour changer les parcmètres, la mairie a en effet passé un contrat juteux avec Parkeon, « société leader sur le marché des solutions smart cities ». « Coût pour la ville : montant hors-taxe minimum 1,2 million d’euros ; maximum : 2,3 millions » (conseil municipal du 20 juin). C’est toujours ça que les bibliothèques n’auront pas.
Qu’est-ce qui a poussé Michel Vernerey à rejoindre cette fronde ? « J’assume ma participation au Réseau citoyen et à la majorité municipale. Mais je suis parti ce printemps pour des raisons personnelles et parce que la greffe citoyenne a mal pris ». En tant que président du Réseau citoyen, il a participé à de nombreuses réunions avec les élus, les attachés de groupes et les membres du cabinet. « J’ai été en désaccord sur plusieurs points, mais je suis parti pour cette question du stationnement. Pour moi elle a été mal traitée et il n’a pas été possible de véritablement débattre du choix fait. Si en interne, il n’y a plus de débat, à quoi ça sert de rester ? »
Depuis cet été, il s’active donc pour faire signer cette pétition initiée par le CLUQ (Comité de liaison des unions de quartier - l’union des unions de quartiers en quelque sorte) « pour une concertation sur les tarifs de stationnement ». Le but du CLUQ est d’utiliser le nouveau dispositif « d’interpellation citoyenne » mis récemment en place par la mairie : si une pétition atteint plus de 2 000 signatures, son sujet sera débattu en conseil municipal. Si la majorité n’approuve pas la proposition lors de ce conseil, elle est ensuite soumise à l’ensemble des Grenoblois lors d’une « votation citoyenne ». Si elle parvient à recueillir 20 000 voix de Grenoblois lors de cette votation, cette proposition sera alors mise en œuvre par la majorité.
Pour Michel Vernerey, faire signer cette pétition n’est donc pas seulement une façon de s’opposer à une décision de la mairie : « Il faut se saisir du dispositif d’interpellation citoyenne pour faire vivre le débat. J’ai fait signer des personnes en disant que ça faisait fonctionner la démocratie. Cette pétition a plus de chances d’aboutir à un résultat concret que d’autres, et ça c’est grâce à cette majorité. » Mais surtout, il espère que cette fronde permettra à la majorité de changer de posture : « J’espère que cet électrochoc externe pourra peut-être produire des effets positifs, salvateurs. Car je fais toujours partie des gens qui souhaitent que la municipalité réussisse. »
Malgré sa bienveillance, un texte a récemment fait bondir Michel Vernerey. Mi-août, le Réseau citoyen a mis en ligne sur son site internet un article intitulé « Désintox par rapport à l’action du CLUQ sur le stationnement résident » . « Dans cet article le Réseau citoyen s’attaque à une démarche citoyenne : là je ne comprends plus. Qu’ils discutent sur le fond de cette question très bien. Mais là ils se posent en censeurs de la démocratie citoyenne. Comme s’il pouvaient décider si les démarches citoyennes étaient bonnes ou pas. » Dans cet article, le Réseau citoyen affirme que « le but [NDR : du CLUQ] n’est pas de créer des divisions et des polémiques non fondées au sein de la ville ». Michel Vernerey s’offusque : « ça n’a pas de sens de dire ça. Le CLUQ est totalement légitime pour ce genre de démarche. » La position du Réseau citoyen est d’autant plus étonnante que Pascal Clouaire, l’adjoint à la démocratie locale qui a mis en œuvre le dispositif d’interpellation citoyenne, est membre de ce réseau. Ils devraient donc plutôt être contents que ce dispositif « innovant » soit utilisé. Si cette « démarche citoyenne » allait au bout, on les entendrait déjà s’en vanter sur Twitter à coups de #onladitonlefait.
Mais les élus municipaux ont visiblement un problème avec la critique. Persuadés d’être « les bonnes personnes au bon endroit au bon moment » (voir Le Postillon n° 36), ils aimeraient que leurs actions soient seulement accompagnées de « hourras » enthousiastes.
À ce sujet, la lecture du magazine de propagande municipale Gre.mag ou du Rouge & le vert, la lettre électronique hebdomadaire envoyée par l’ADES (association membre de la majorité), est révélatrice.
Jusqu’en mars 2014, Le rouge & le vert se posait un peu en contre-pouvoir, tentant d’apporter au débat municipal des éléments critiques. Depuis, ses quelques textes hebdomadaires font figure de Pravda locale, défendant toujours avec vigueur les élus municipaux et n’émettant jamais la moindre réserve. Comme toute propagande, cela occasionne parfois quelques passages comiques. Vincent Comparat, une des deux vaches sacrées des écolos-citoyens à Grenoble avec Raymond Avrillier, est le quasi unique rédacteur de cette lettre d’information. À ses heures perdues, il est également conseiller occulte de la majorité et du maire lui-même. Voici ce qu’il écrivait dernièrement à propos du plan dit de « sauvegarde » : « Nous avons demandé à Vincent Comparat qui a beaucoup travaillé sur la gestion financière de la ville depuis des années, quelles étaient ses réactions par rapport à ce plan ? » (Le rouge & le vert, 10 juin 2016). S’en suit évidemment un texte louangeant l’action municipale. Ça fait toujours drôle de voir les champions de la démocratie inventer de nouvelles variantes pour l’un des procédés les plus éculés des démocraties « populaires » d’antan : l’auto-interview du dirigeant par lui-même via l’organe de presse du parti… Au moins dans ces pays, les lecteurs avaient fini par le savoir, ce qui n’est pas le cas des lecteurs du Rouge & le vert puisque les articles ne sont scandaleusement pas signés (comme dans Le Postillon, certes, mais on ne s’adonne pas au plaisir onaniste de l’auto-interview).
Quant au journal municipal Gre.mag, on peut noter le remarquable effort réalisé sur la maquette, radicalement différente de celle des Nouvelles de Grenoble, nom de l’organe de propagande sous Destot. Le fond n’a par contre pas changé, et aucune once d’esprit critique ne vient se promener dans les quarante-huit pages de ce bimestriel à la gloire de la municipalité. Cette propagande éhontée permet d’ajouter quelques phrases dans l’anthologie du foutage de gueule politique. Ainsi de cette citation du directeur de communication Erwan Lecœur, qui nous avait promis juste après l’élection : « On va justement essayer d’avoir une communication qui ne soit pas ‘‘regardez comme on est beaux, comme on est gentils’’. » (Le Postillon n° 26). Ou de l’engagement n° 13 de Piolle, qui promettait « une rédaction indépendante », « des débats sur les controverses municipales », « loin de la propagande municipale », etc.
Au lieu de fermer des bibliothèques, la majorité pourrait arrêter la parution de Gre.mag, réalisant ainsi quelques économies. À quand un Plan de sauvegarde de l’esprit critique ?
(1) La majorité municipale comprend cinq mouvements politiques : EELV, le PG, l’ADES, Ensemble ! et le Réseau citoyen. Créé juste avant la campagne de 2014, le Réseau est un regroupement de citoyens non encartés, fortement “soutenu” par l’ADES à sa création (ils ont très longtemps tenu leur réunion hebdomadaire dans le local de l’ADES). Parmi ses élus et dirigeants, de nombreux amis et connaissances de Piolle : Fabien Malbet (adjoint écoles), Alain Denoyelle (adjoint action sociale), Béatrice Bonnachi (sa nouvelle présidente)...
Encadré :
Encore un extrait de la correspondance entre élus qui est arrivé entre les mains du Postillon (voir page 7) ! Dans un mail du 13 juin 2016, soit une semaine avant le conseil municipal qui a entériné cette décision, l’adjoint aux finances livre son avis à ses collègues : « (…) Le signal fort pour changer les comportements est donné, c’est la tarification des horodateurs qui augmente en moyenne de 30 %. (…) Quand on parle du stationnement résident : 1,1 M € de recettes. Augmentation attendue 600 K€....(+50 % ?). 7 500 tickets vendus/mois (…). J’ai l’impression qu’on se trompe sur l’effet escompté, on augmente plus le ticket résident que le stationnement sur voirie donc on pénalise les Grenoblois plus fortement que les extérieurs. Si l’objectif est d’éviter l’utilisation de la voiture en ville, l’intérêt est bien que l’on puisse stationner à proximité de chez soi le moins cher possible et utiliser le vélo ou les transports en commun pour se déplacer. À défaut, cela a été dit dans certaines réunions, avec un tarif résident important, les personnes utiliseront leur voiture pour stationner gratuitement sur leur lieu de travail… à discuter ce soir... (perso je serais presque pour la gratuité quand on stationne en bas de chez soi, par contre pour faire payer très cher quand on se trouve dans un autre quartier. Cela inciterait à ne pas bouger sa voiture ou le faire qu’en cas de besoin ultime... Je serais aussi pour étendre le paiement rapidement à toute la ville sauf quartiers populaires) ». Après avoir voté « pour » la délibération au conseil municipal, l’adjoint aux finances a-t-il donc signé la pétition contre cette délibération ?