Accueil > Eté 2018 / N°46

Les forestiers ont la gueule de bois

Même dans les bois, il y a des manifs. Pourquoi donc ?

«  Le but de la forêt est de plus en plus de sortir du bois pour la filière bois. Si dans une forêt il y a beaucoup de coupes et de ventes de bois, est-ce qu’on ne risque pas d’en interdire l’accès ?  » Une manifestation dans une forêt, j’avais pas vu ça depuis le Center Parcs de Roybon. Bon, là c’est pas vraiment une manif’, juste une action symbolique. En ce dimanche d’avril, ils sont trois salariés de l’ONF (Office national des forêts), membres du syndicat Snupfen Solidaires, à bloquer symboliquement l’accès à la forêt des Vouillants, sur la commune de Seyssinet-Pariset. Dans Belledonne, et en Chartreuse, certains de leurs collègues font des actions similaires au même moment.

« La politique au sein de l’ONF est de liquider le service public forestier. L’aspect purement financier est en train de prendre le pas, c’est là-dessus qu’on veut alerter les gens  », m’explique Gilles, en tendant un tract à un promeneur. En cause, les mêmes logiques de rentabilité et de libéralisation que subissent d’autres fonction-naires comme les cheminots. « Ça fait vingt ans que je suis dans la boutique, ça fait des années que ça dégringole, mais depuis deux ans la pente s’accentue, la nouvelle direction veut la privatisation de nos statuts, et que les nouveaux soient embauchés en statut de droit privé, alors que nous on est fonctionnaires. Mais la forêt c’est surtout le long terme. Comment faire du bon boulot en CDD d’un an ?  » Ils sont pour l’instant une centaine à bosser dans les forêts de l’Isère, sûrement bien moins dans les prochaines années. «  En quinze ans, on a déjà perdu 20 % des salariés.  » Moins de personnes compétentes alors qu’«  il y a de plus en plus de pression sur la forêt, notamment avec des projets de gigantesques centrales biomasse, comme à Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône. Pour approvisionner cette centrale, ils parlent d’aller chercher du bois dans les quatre cents kilomètres autour – on est dans le périmètre.  » Ce qui sauve les forêts de la cuvette d’une potentielle exploitation intensive, c’est la pente : pour l’instant, c’est beaucoup plus rentable d’aller chercher du bois en plaine.

Et pourtant, ces dernières années, on voit de plus en plus de grosses coupes, notamment dans les forêts de Belledonne. « À l’ONF, on essaye de gérer la forêt de manière raisonnable parce qu’on est un service public. Dans les forêts privées, il y a des coupes de grande taille, qui exploitent la forêt comme une mine : on coupe tout et on met au four. Planter, c’est un constat d’échec. La forêt n’a pas besoin des humains. Notre boulot, c’est de tout faire pour qu’elle se régénère toute seule ».

Cette action se déroulait devant le désert Jean-Jacques Rousseau, ainsi nommé car un « désert  » peut aussi désigner une gorge et car le philosophe était venu «  herboriser  » ici il y a deux siècles et demi. «  Dans les pays anglo-saxons, des parcs sont payants. Ce sont des choses qui peuvent arriver ici. La forêt est un espace de liberté, et il faut que cela le reste.  » Et justement, le désert Jean-Jacques Rousseau est entouré de grands murs et on y entre par une grande porte en bois, jamais fermée. Pourquoi ? Cette forêt était-elle privée avant ? On a un peu cherché la raison, sans rien trouver. Voilà un des nombreux mystère de cette forêt : avez-vous entendu parler du scialet funéraire des Vouillants ? Des anciennes fontaines des Vouillants à qui l’on doit le nom de la ville ? Promenez-vous dans les bois, pendant que les grosses machines n’y sont pas.