Accueil > Hiver 2023-2024 / N°71

Test comparatif

Les grands projets abandonnés

De tout temps, le Grenoblois a voulu pourrir son environnement. Déterrons-donc et comparons ce à quoi on a échappé.

Le canal de Grenoble

Au début du XVIIIe siècle, les crues dévastatrices s’enchaînent à Grenoble. Parmi les dirigeants de l’époque, on commence à réfléchir : et si on détournait la rivière pour qu’elle cesse de causer des ennuis ?

Quelques ingénieurs planchent sur le sujet. Un premier, M. Lechat, travaille sur un « mémoire concernant les débordements de l’Isère dans lequel on propose un moyen pour mettre la ville de Grenoble à couvert des malheurs dont elle est menacée par ces débordements, qui deviennent chaque jour plus fréquents et plus dangereux ». Lechat propose d’ouvrir un canal au-dessus de Saint-Roch (l’actuel cimetière), qui file en ligne droite avec une largeur égale à celle de la rivière, et qui traverserait la ville jusqu’à rejoindre la confluence avec le Drac. Il fait l’unanimité contre lui. « On prétendit que la réussite d’une telle entreprise était impossible », lit-on dans Les Inondations en France depuis le VIe siècle jusqu’à nos jours. Le grand canal (de 70 m de large) ne verra jamais le jour.

En 1790, le plan réapparaît dans une nouvelle version sous la plume de M. Rolland. De nouveau, il est question d’un canal creusé à partir de l’église Saint-Joseph, à l’île Verte, et filerait jusqu’à la Buisserate à Saint-Martin-le-Vinoux. On parle même d’une écluse sur l’Isère au niveau de la passerelle Saint-Laurent. Si le projet avait été accepté, la ville aurait été coupée en deux dans sa largeur, un peu comme le font plus au sud les Grands boulevards actuellement, mais personne ne suivit l’idée Rolland.

De nombreux autres moyens ont été envisagés pour calmer l’Isère : démolir les deux ponts qui l’enjambent, pour faciliter l’écoulement de l’eau, ou carrément raser le quartier Saint-Laurent, pour en faire un vaste quai. En fait, les barrages en amont et de colossaux travaux sur les digues, ont évité – pour l’instant – des inondations ravageuses.

Les tunnels autoroutiers

Plusieurs tunnels ont été imaginés à Grenoble ou autour pour « faciliter les déplacements ». Il y a eu le tunnel sous la Bastille, nommé projet de Rocade Nord, dans les années 2000. Beaucoup d’encre a coulé, mais très peu de béton, les promoteurs s’inclinant devant la contestation des riverains, et les risques d’effondrements encourus lors du creusement… et surtout l’avis défavorable de l’enquête publique devant ce projet pharaonique et inutile.

Un peu plus tôt, en 1993, la Communauté de communes de l’agglomération de Grenoble et l’industrie autoroutière avaient pensé un projet innovant, celui de la Tangentielle Nord-Sud, ou la TNS. Estimé entre 750 millions et 1,5 milliard d’euros, la TNS avait pour objectif un raccordement de l’A48 (au nord de Grenoble) à l’A51, l’autoroute qui devait relier Sisteron mais qui s’arrête (pour l’instant) dans le Trièves.

Plusieurs scénarios étaient envisagés, celui d’un tunnel partant de Sassenage pour déboucher au Rondeau, ou celui d’une autoroute dévastant « à découvert » les communes de Sassenage et Fontaine jusqu’au parc de La Poya, avant de rentrer dans un tunnel sous le bois des Vouillands pour ressortir au niveau de l’espace Comboire.

Finalement, le coût du projet, des divergences entre le ministère de l’Équipement et de l’Écologie et le peu de trafic capté par ce tunnel (5% des véhicules qui circulent sur l’A480 auraient pris ce tunnel, d’après une estimation) ont cassé les plans.

Le campus sur la Bastille

Vous imaginez plusieurs Institut Dolomieu et Institut de géographie alpine (les deux grands bâtiments qu’on voit depuis les quais) agencés entre Saint-Laurent et la muraille ? C’est le projet hors-sol de cette « acropole » installée sur les pentes de la Bastille. L’idée émerge dans les années 1950, pour faire face à l’augmentation du nombre d’étudiants qui souhaitent venir à Grenoble. Ce « centre universitaire international » est porté par l’Association des Amis de l’Université, fondée par Louis Merlin (le patron de l’entreprise Merlin Gerin, spécialisée dans les équipements électriques). Le projet vise à installer plein de bâtiments sur la colline, et regrouper, dans le même endroit, tout ce qui fait une université : un centre culturel, des gymnases, des commerces et des lieux d’études. L’idée est de, tout simplement, créer une bulle hors du monde où étudiants et professeurs pourraient ne jamais se mêler au bas peuple et vivre sur leur perchoir. Pour le plan, c’est l’architecte Jean Benoît (qui s’est occupé de la bibliothèque de Chavant et de l’Institut Dolomieu, l’un des deux seuls vestiges de ce plan) qui s’y colle. Mais ce délire d’industriels et d’architectes utopistes ne verra (presque) pas le jour. En effet, le coût d’installation de cette université dans les pentes est délirant estiment les élus locaux, qui vont préférer envahir les vastes plaines fertiles de Saint-Martin-d’Hères, sur le campus que l’on connaît. Finalement, aménager le campus sur la Bastille n’aurait-il pas permis de préserver ces bonnes terres en plus d’empêcher son agrandissement infini ? Vous me direz que dans ce cas, les promoteurs auraient quand même bétonné Saint-Martin-d’Hères avec d’autres trucs – certes ! Mais on est là pour refaire le match à notre idée.

Un grand lac à la Taillat

Dans les années 1960, un grand architecte parisien, Henry Bernard, est mandaté à Grenoble par l’État, afin de réaliser un plan directeur d’urbanisme. Dans le justement dénommé « Plan Bernard », on trouve notamment la trace d’un grand lac dans la boucle de la Taillat, où il y en a aujourd’hui un petit et non baignable (et en quel honneur ?). On ne sait pas vraiment si le lac Bernard était destiné à être baignable, mais, dame, si c’était le cas ! Imaginez les crédits carbone économisés sur les allers-retours à Laffrey et Paladru ! Et la pression pour que les industriels arrêtent de pourrir l’eau...