« Est-ce que ça vous dirait d’être augmenté ? D’être doté de capacités (…) dignes d’un film de science fiction ? Si la réponse est oui, vous risquez d’être comblé dans les prochaines années. Si la réponse est non, il est possible que votre droit à ne pas être augmenté ne reste pas absolu très longtemps.
(…) Désormais on sait stimuler une petite zone du cerveau de façon électrique. La stimulation cérébrale profonde, ce qui s’appelle la neuro-réparation, la neuro-amélioration, est une source d’espoir pour des millions de personnes sur la planète atteintes de maladie et de handicap [I]. Mais il y a d’autres choses qu’on sait faire aussi : faire directement communiquer le cerveau humain avec un ordinateur. (...) À Grenoble, l’équipe du professeur Benabid avec Clinatec – Benabid c’est celui a a inventé la stimulation cérébrale profonde, c’est un Français, cocorico ! –, a mis en place un implant cérébral qui permet à un patient tétraplégique de commander un exosquelette pour se déplacer. (…) Extraordinaire !
Peut-être avez-vous vu passer il y a quelques jours le premier tweet réalisé par la pensée, c’est une société française, Prometheus, qui a permis cet exploit là. (…) Apple vient d’annoncer qu’un de ses prochains modèles d’Airpods sera capable de lire vos ondes cérébrales par le conduit auditif. (…)
Ce secteur des neurotechnologies est en plein essor. Imaginons que vous et moi demain on soit équipés d’Airpods capables de lire nos ondes cérébrales et donc de définir ce que nous voulons dire avant que nous l’ayons dit. Qu’est-ce qui nous empêche à terme de communiquer sans nous parler ? Oui, je vous parle de télépathie, je dis pas que c’est avéré mais il y a des scientifiques sérieux qui considèrent que d’ici huit à dix ans on serait capables de faire ça. Et là c’est déjà une autre histoire. (…)
Les transhumanistes ont un rêve : un monde colonisé par des robots dotés d’intelligence artificielle capables de tout réaliser comme vous, voire mieux que vous. Et donc ils vous expliquent que dans cet univers nous devons penser dès aujourd’hui la convergence entre humains et robots. Le raisonnement c’est « si les robots s’humanisent il faudrait que les humains se robotisent ». C’est un petit peu Frankenstein contre Goliath. C’est de la science fiction évidemment mais ils ont quand même quelques arguments à faire valoir. D’abord la vitesse avec laquelle l’intelligence artificielle progresse et irrigue tous les pans de notre société. (…) La robotique progresse aussi à toute vitesse. Si on suit ce raisonnement, imaginez demain des milliers de robots intelligents capables de penser comme vous, peut-être mieux, de parler comme vous, peut-être mieux, nous n’aurions plus d’autre choix que d’accepter de nous augmenter à notre tour pour être compétitifs avec eux. Et ceux qui parmi nous refuseraient d’être augmentés se verraient déclassés dans la société et n’auraient pas donc d’autres choix que de suivre. [II]
En fait je ne suis pas transhumaniste et vous l’avez tous compris. Mais il est possible que l’on soit quand même au début de quelque chose, un changement anthropologique profond. Avec ChatGPT, on est passé du « faire » au « faire faire » pour la première fois. Imaginons que nous ayons nos implants dans les oreilles, on passerait pour la première fois du « dire » au « faire dire ». L’étape d’après serait du « penser » au « faire penser ». Mais pour ça il faudrait être capables, non seulement de lire les ondes cérébrales, mais aussi de les moduler, d’aller écrire directement sur le cerveau des gens.
En préparant cette conférence, je me suis rendu compte que nous ne sommes absolument pas prêts et que nous n’anticipons absolument pas. Si la neuro-protection, la neuro-réparation est une chance pour l’humanité, le continuum que les industriels voudraient nous imposer avec la neuro-augmentation ne fait pas l’objet d’une réflexion quelconque [III]. Aucune ligne rouge n’a été tracée en la matière, c’est le Far West et c’est celui qui a le plus d’argent qui va y aller. Et ça c’est un peu dangereux. Ce qui me fait peur c’est pas les universités, les start-ups, les labos de recherche. Ce qui m’inquiète c’est Apple, c’est Meta, c’est Musk. Ce sont les entreprises étrangères, chinoises et autres [IV]. Est-ce que Apple nous a demandé ce qu’on en pensait avant de commercialiser des Airpods capables de lire nos ondes cérébrales ? Est-ce qu’Elon Musk nous a demandé ce qu’on en pensait avant d’envoyer des milliers de satellites tout autour de la Terre [V] (…) Est-ce que les entreprises de jeux vidéos nous ont demandé à nous, parents, ce qu’on en pensait avant de commercialiser des casques de gaming destinés à nos enfants capables de lire leurs ondes cérébrales et demain peut-être de les moduler ? Ça n’est pas raisonnable.
Nous sommes encore en 2024 dotés d’une capacité de réflexion, d’autodétermination. Je considère que nous devons nous en servir pour peser collectivement sur les industriels qui pensent à notre place et sur les instances internationales. (…) Moi je suis pas pour la régulation à tout prix, je suis plutôt favorable à l’innovation [VI]. Mais je pense que ce n’est pas à l’échelle d’un pays, d’un continent que nous pouvons agir [VII]. (…) Je ne suis pas pour la régulation à tout crin mais je me dis que la France, pays des Lumières, pourrait être le premier pays au monde à organiser une conférence d’Asilomar [conférence de 1975 ayant tracé des lignes rouges afin d’interdire le clonage humain] des neurotechnologies (...) Alors si on attendait pas que des magnats transhumanistes tweetent la vidéo de personnes équipées d’implants communiquant par télépathie pour nous poser la question de savoir si la télépathie est une chance ou non pour l’humanité ? »