Il y a du nouveau au Chuga (Centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes), et on ne parle pas de l’évolution du nombre d’hospitalisés du Covid. Si le NPT (nouveau plateau technique), gigantesque chantier qui devait être fini en 2019, ne verra pas le jour avant fin 2021, une partie du NPI (nouveau plateau interventionnel) est ouverte depuis cet automne. Le B14 compte, comme son nom l’indique, 14 salles de blocs opératoires. Si ces nouveaux bâtiments étaient attendus, les soignants ont eu la surprise de découvrir à leur arrivée la présence de nombreuses caméras, 34 en tout. « Personne n’était au courant, on ne sait pas qui a donné l’ordre de les installer », raconte Emmanuel Briot, médecin anesthésiste et élu de la CME (commission médicale d’établissement) du Chuga.
Sur les 34, quatorze sont situées dans les appareils d’éclairage utilisés dans les salles d’opération et ne sont pas « problématiques » car « leurs images vont juste servir pour l’enseignement. » Les autres sont par contre beaucoup plus inquiétantes : « Il y en a dans les zones de transfert, pour éviter qu’il y ait des effractions. Mais au lieu de filmer juste les portes, elle sont placées à l’intérieur des sas d’accès et peuvent filmer par exemple des soignants en train de se changer ou d’accéder aux toilettes, ou des patients en train d’attendre sur leurs brancards. » Certaines sont également présentes dans la salle de réveil « pour un déclenchement unique en cas de plan blanc » selon la communication de l’hôpital. « Mais elles fonctionnent aussi en temps normal, assure Emmanuel Briot. Leurs images sont diffusées dans tout le réseau interne du Chuga. »
Et puis surtout : chaque bloc est équipé d’une caméra située à l’entrée « qui filme l’intégralité de la salle d’opération ». Selon la communication du Chuga, il s’agirait de « caméras d’ambiance (…) pour un usage de régulation de l’activité » dont « l’objectif est de fluidifier les flux. Les images ne sont pas enregistrées, il s’agit seulement d’un report vidéo et la résolution ne permet pas de reconnaître ni le personnel, ni le patient. » Emmanuel Briot ne croit pas que la résolution soit si basse : « Ce sont des caméras haute définition avec zoom, déplacements possibles dans toutes les directions et a priori elles sont toujours en train de fonctionner. »
Y-a-t-il besoin de caméras pour « réguler l’activité » ? Pour le médecin anesthésiste, c’est un non-sens : afin d’anticiper les flux de patients, « un simple coup de fil est beaucoup plus pertinent pour prévenir qu’une opération est terminée et que la prochaine peut se préparer. Aucune anticipation n’est possible avec l’imagerie, toutes les opérations sont uniques. Les soignants eux-mêmes sont capables d’anticiper la fin d’une intervention, sans caméra. » Frédi (pseudo), un autre soignant, abonde : « Les caméras, c’est même contre-productif dans ce but. Avant, l’infirmière de bloc appelait pour prévoir la suite des opérations. Maintenant tout passe par un cadre régulateur, mais si plusieurs opérations se terminent en même temps dans des blocs différents, il est vite débordé. Et puis avec ces caméras, potentiellement, des patients vont être filmés à poil ! »
« Un CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) est prévu sur ce sujet le 23 février, normalement ça aurait dû être fait bien en amont. » Ce qui agace particulièrement Emmanuel Briot, c’est l’absence de concertation autour de l’installation de ces mouchards. La communication de l’hôpital prétend que « le sujet a été discuté avec des membres du CHSCT » et que « ce dispositif non opérationnel depuis l’ouverture des blocs va faire l’objet d’un groupe de travail spécifique, au sein duquel les soignants sont intégrés. (…) Le délégué à la protection des données du CHU a confirmé le respect des mesures pour l’ensemble de ces dispositifs de caméras. » Avec des caméras high-tech, comment être certain qu’elles ne sont pas en train de filmer ? Il ne reste qu’à croire la propagande de la direction… « On ne voit pas quel peut être l’intérêt de ces caméras, à part la volonté déplacée de faire du management et d’augmenter la rentabilité du bloc, s’interroge le médecin. Ces caméras deviendront des dangers en cas de management malveillant, c’est pour ça qu’il faut qu’elles soient supprimées. »
« Par ailleurs il y a plein de petits ratés sur l’aménagement des blocs, les salles sont petites et mal conçues. Les casiers sont minuscules, on nous file une prime pour venir en vélo et quand tu arrives à l’hosto tu peux pas stocker ta sacoche ou tes affaires de pluie » raconte Fredi. « Comme il n’y a pas de place de stockage, le matériel est géré en flux tendu et souvent il en manque, poursuit Emmanuel Briot. Il n’y a pas assez de brancardiers pour transférer les patients. Finalement, le problème de base, ce ne sont pas des questions d’équipements mais un basique manque de main d’oeuvre ! Le décalage entre ces caméras qui peuvent servir un management tentaculaire et ces ratés crée une ambiance délétère. »