Le plus bienveillant
Les Fringant. e. s
Un beau soir on s’est retrouvé un peu par hasard sur la terrasse de ce rade rue Hébert pour chialer un bon coup et ne pas se retourner. Et après on s’est rendu compte qu’en fait, ce bar est un « concept unique de restaurant géré démocratiquement ». Mais qu’est ce que ça veut dire ? Des bars en Scop (société coopérative) il y en a déjà beaucoup à Grenoble, mais là apparemment ce serait autre chose et n’importe qui pourrait devenir « sociétaire ». Et ainsi choisir les fournisseurs de bières et de cacahuètes ? Mystère, car le modèle de gouvernance n’est pas détaillé… « L’autogestion » semble être avant tout un outil marketing, comme tous les autres concepts branchés du moment que ce bar s’approprie : « cuisine bistronomique » ou écriture inclusive jusque dans le titre. Autogéré ou pas, le business plan semble bien précis. Un concours de circonstances a voulu que le groupe de rap les Chevals Hongrois joue pour leur soirée d’inauguration, ce qui a occasionné quelques tensions entre certaines personnes venues les voir et l’équipe du bar. « Le patron nous disait qu’il visait un public plus petit-bourgeois du centre-ville », raconte un des chanteurs. Monté, soutenu et fréquenté par des membres de l’ancienne liste des socialistes de Grenoble, Nouvel Air, on aurait pu s’en douter…
Le plus « trader »
Wall Str’eat
Au mur, une télé diffuse les prix des consommations du bar, qui évoluent à la hausse ou à la baisse. Sur le papier, ce bar propose un incompréhensible concept : devenir trader de la picole. C’est même pas une blague, même si les patrons le présentent comme un jeu. L’idée : rester devant la télé, et choisir la boisson dont le prix est le plus avantageux au moment t. On nous promet même un krach boursier. « Tous les prix chutent et l’éclairage du bar devient rouge, c’est le moment de faire de bonnes affaires », racole le site internet du bar. On ne l’a pas vu passer celui-là, mais on a plutôt eu le temps d’observer ce beau concept qui met en avant la financiarisation de la société : plus rien n’a de la valeur, si ce n’est la valeur donnée par la télévision-reine. « On n’était pas férus de bourse mais attirés par le côté achat compulsif ! » a déclaré le patron au Petit Bulletin (3/6/2019). Qui aurait pu croire que des gens étaient attirés par « le côté achat compulsif » ?
Pour accompagner l’ambiance, la déco met le paquet dans l’acclamation du système étasunien. On trouve une photo du menaçant taureau (symbole de vigueur sexuelle) de Goldman Sachs, cette banque d’investissement ayant spéculé sur les subprimes. Il y a aussi la célèbre image des ouvriers du bâtiment juchés sur les tours de New York. De l’autre côté du bar, on oublie la classe prolétarienne, car on distingue plutôt des bouteilles de champagne dans la glace. On finit par prendre un pastis à 2,9 €, qui perd 3 % de sa valeur quelques minutes plus tard. On aurait pu économiser 10 centimes, merde ! À la fin, on a juste l’impression de se faire entuber.
Vraiment très réussie, cette importation de la Bourse dans le monde réel.
Le plus start-up
Une petite mousse
Marre que toutes les entreprises innovantes grenobloises se déploient dans l’électronique ? Heureusement, il y a la Petite Mousse, la start-up issue de la « food tech » made in la Cuvette. À première vue, l’énorme bar de Bouchayer-Vialler n’a rien d’innovant, sauf peut-être le serveur qui vient prendre la commande à l’aide d’une tablette. La carte est accessible en flashant un QR code, mais aujourd’hui la dépendance au téléphone intelligent devient tellement banale que ce n’est même plus disruptif. Pour les quelques sans smartphone qui se perdraient là-bas, il reste même des cartes en papier. Mais où est l’esprit start-up là dedans ?
Il semble qu’il se soit perdu dans le passé. En effet, une Petite Mousse s’est créée comme une entreprise innovante, membre de la bande cupide de CoWork in Gre. D’abord, elle vendait des cartons de bières à ses abonnés. Ensuite, elle s’agrandit avec une brasserie, puis une houblonnière (où pousse le houblon) et ce fameux méga-bar, installé en face du Magasin.
Mais voilà, le Covid est passé par là et les sous manquent. Le « business model » s’est fracassé sur la pandémie : toute la production de la Petite Mousse (la brasserie) s’écoule à la Petite Mousse (le bar), fermé comme tous les autres en 2020. La brasserie ferme donc ses portes. Les géniaux patrons de la Petite Mousse se décident donc à faire « pivoter » le « business model » de la start-up vers… un bar classique, agrémenté quand même de quelques ventes de produits en ligne (faut bien faire tourner les data centers). Heureusement, malgré ce côté pas très disruptif, les clients, avec leur badge d’entreprise accroché à la ceinture ou leur pull floqué d’un nom d’école d’ingénieur, continuent bien à représenter la start-up nation.
Le plus autonome
Beer O’Clock
Alors que les supermarchés sont envahis par les caisses automatiques, pourquoi ne pas faire pareil dans les bars ? Alors que le monde entier est envahi par les cartes magnétiques et autres QR codes, pourquoi les bars ne se fondraient-ils pas dans le moule, même en dehors du passe sanitaire ? Au Beer O’Clock, on peut désormais utiliser une carte à puce pour régler ses achats. S’il y a encore un humain derrière le comptoir, c’est pour créditer le fameux sésame. Avec ce passe où est inscrit son nom, on se dirige vers les bornes-tireuses à bière afin de se servir jusqu’à épuisement de ladite carte. Ce qui donne l’impression de faire un plein d’essence en se servant une pinte. Le principe est super pour les pochetrons : alors que le barman peut contrôler l’alcoolémie de ses clients, Beer O’Clock propose à chacun de se mettre une grosse charge sans surveillance. On attend avec impatience (ou pas) que des établissements aillent au bout de ce concept, en supprimant tout barman, et en embauchant des vigiles pour seule présence humaine, un peu comme un supermarché ouvert le dimanche.