Accueil > Printemps 2025 / N°76

Travail, Famille, Patrimoine

On n’est pas nés sous la même agence immobilière. Certains naissent avec un patrimoine doré dans la bouche : c’est le cas des descendants Collin-Dufresne (comprenant notamment l’actuelle patronne du Medef-Isère), dont les biens sont gérés par l’agence Socopro.

C’est, sans contestation possible, l’agence immobilière la plus pourrie de Grenoble. Les locaux de la Socopro, rue Pierre Sémard, ne payent pas de mine – ou alors une mine défoncée : l’enseigne est taguée depuis de nombreuses années et les plaques des SCI domiciliées ici bien vieillottes. Difficile d’imaginer qu’en poussant la porte, on entre dans les locaux d’un des – sinon du – patrimoines immobiliers privés les plus importants de Grenoble.

La Socopro, pour société coopérative de propriétaires, a été créée en 1982 pour administrer les biens immobiliers de l’indivision Collin-Dufresne, représentant à l’époque le père Pierre et ses quatre enfants Yves, Catherine, Isabelle, Edwige. Mais comment ont-ils donc hérité de tous ces biens ? L’histoire, racontée dans le livre Grenoble le mythe blessé, est sur certains points consternante : « À la fin du siècle précédent, Terray est une entreprise industrielle [NDR : de ganterie] parmi d’autres qui se développent à Grenoble, dans le quartier Berriat-Saint-Bruno. Mais le fils Terray [NDR : il s’agit ici d’Henri, père de l’alpiniste Lionel Terray] qui en hérite dans l’entre-deux guerres se lasse vite des affaires, fait sa médecine et, à trente-cinq ans, cède sa place à son beau-frère Collin-Dufresne. Au cours d’une partie de golf à Uriage, il explique plaisamment à la femme d’un grand industriel son changement d’orientation : “J’aime déshabiller les femmes ; avant, il fallait que je paie ; maintenant, c’est elles qui paient.” Le nom de Terray est resté mais ce sont maintenant les Collin-Dufresne qui dirigent une affaire qui a cessé d’être industrielle pour devenir une régie immobilière. Elle gère le patrimoine immobilier privé probablement le plus important, mais aussi le plus hétéroclite, de Grenoble. »

Aujourd’hui, que représente ce patrimoine ? Nos recherches aux impôts n’ont pas été complètement concluantes, notamment à cause du foisonnement de SCI qu’hébergent les locaux de la Socopro. Son gérant n’a pas été très loquace, commençant par dire qu’il « ne voulai[t] pas nous parler, vous comprenez bien pourquoi  » avant de quand même bavarder vingt minutes, ceci nous permettant d’observer que l’intérieur des locaux était à peu près aussi clinquant que la devanture. S’il nous a confirmé que tous les biens administrés appartenaient aux descendants Collin-Dufresne, il n’a néanmoins pas voulu préciser leur nombre exact. Ce qui est sûr, c’est qu’il y en a plusieurs centaines, « au moins 300  » selon deux sources différentes. Il y a des maisons à Seyssins, des appartements à Vizille ou Saint‑Martin-d’Hères et puis énormément de biens à Grenoble : l’immeuble du 25 rue Jean Prévost, celui du 25 et 27 rue Nicolas Chorier, les anciennes usines de la rue de Londres abritant le P’tit vélo dans la tête et moult garages auto, des appartements rues Mansart, Marx Dormoy, Alphonse Terray, Honoré de Balzac, boulevard Gambetta, etc.

Et qu’en disent les locataires ? Lors de nos quelques porte-à-porte, certains reconnaissent les avantages de cette agence pas comme les autres, notamment sur la faible quantité de papiers demandés, les arrangements possibles ou les loyers pas abusifs. D’autres par contre évoquent surtout l’absence de (ou la faible) isolation des appartements et différents problèmes structurels. Au 34 rue Jean Cocteau à Saint-Martin-d’Hères, plusieurs locataires étaient particulièrement remontés, décrivant la présence de cafards, de multiples détériorations non réparées, ou d’un « dégât des eaux entraînant un effritement du mur, réparé après de multiples relances au bout de neuf mois  ». Un ancien locataire lâche sans hésiter : « L’agence se fout de la gueule des locataires.  »

Sous ses allures à l’ancienne et donc sympathiques (du moins de notre point de vue), la Socopro reste une agence immobilière, dont le but premier est de faire rentrer un maximum d’argent dans les poches des propriétaires. Mais aujourd’hui qui sont-ils ? Les quatre frères et sœurs Collin-Dufresne ont eu des destins divers. Isabelle fut une artiste mondialement connue sous le nom d’Ultra-Violet [1], notamment pour avoir été la muse d’Andy Wahrol. Après avoir vécu l’essentiel de sa vie à New-York, dans un « appartement dont les 400 mètres de terrasse surplombaient le musée Guggenheim » [2], elle est morte en 2014 sans descendant, tout comme sa sœur Catherine. Leur frère Yves a eu un fils Pierre, qui est professeur de finance à l’école polytechnique de Lausanne en Suisse. Quant à Edwige, elle a choisi un autre « bon parti » en se mariant avec Jacques Merceron-Vicat, descendant de la dynastie Vicat et patron de la cimenterie pendant 22 ans. Ce mariage dans l’entre-soi bourgeois donnera trois enfants, dont l’ainée Sophie Sidos (née Merceron-Vicat), actuellement vice-présidente de Vicat (c’est son mari Guy Sidos qui préside) est également présidente du Medef-Isère... L’argent des locataires de la Socopro est entre de bonnes mains : en juillet 2024, selon le classement de Challenges, Jacques Merceron-Vicat et sa famille étaient classés, avec « un milliard de fortune totale », au rang 137 des 500 plus grosses fortunes françaises.

Une soixantaine de biens immobiliers et pas un qui soit isolé  : On vous présente Thierry Vernice

«  On vit dans une passoire énergétique et notre propriétaire ne veut pas faire de travaux !  » Gaëlle et Javier sont dans une maison en colloc’ à Meylan et ont réagi à notre appel à témoignage du dernier numéro. Leur propriétaire ? Un certain Thierry Vernice, qui serait « multipropriétaire » d’après ce qu’ils auraient entendu dire. Tu m’étonnes ! Aux impôts, on trouve, à son nom ou à celui d’une de ses SCI (Macaren, Clemt, Carmen, ETV), la trace de 38 appartements à Grenoble, deux à Saint-Egrève, trois à Saint-Martin-le-Vinoux, un à Seyssinet, deux à Saint-Martin-d’Hères, quatre à Eybens. Soit 56 appartements quand même, en plus de deux maisons à Meylan et de dizaines de caves et parkings. Ça doit faire du souci tout ça, dis-donc. « On a passé trois ans à réclamer la mise à jour du bail avec les nouveaux noms des locataires et un nouveau DPE et il a réagi uniquement quand on a contacté un conciliateur de justice. Pour les travaux d’isolation par contre on attend toujours...  » Notre porte-à-porte dans certains de ses autres appartements, au 38 rue du Drac à Grenoble, confirme le peu d’empressement du multipropriétaire à faire les travaux d’isolation nécessaires, l’un d’eux nous confiant payer 100 euros de charges mensuelles pour arriver à 14°C, les autres semblant arriver péniblement à quelques degrés de plus en déboursant des sommes similaires. On aurait bien aimé en discuter avec ce monsieur Vernice, mais il n’a pas daigné répondre à nos différentes sollicitations. C’est que si ses locataires apprennent qu’il a autant de biens, ça risque de mettre un sacré froid dans leurs relations...

Notre enquête continue !

Pour les prochains numéros, on prévoit encore de documenter les gros propriétaires immobiliers grenoblois, leur patrimoine et – entre autres – leur peu d’empressement à l’isoler. Alors on est preneur de toute information à ce sujet : faites tourner l’info.

Par ailleurs on aimerait aussi questionner le volontarisme de la Métropole grenobloise sur la rénovation thermique des bâtiments, dont la principale politique consiste à donner plus d’argent public à des propriétaires... alors même que la valeur des biens immobiliers à Grenoble a été multipliée par 2,5 depuis vingt-cinq ans. Pareil pour ce sujet : si vous avez des trucs à dire, contactez-nous !

Notes

[1Rien à voir avec le célèbre groupe grenoblois Claude Ultraviolet, dont le premier album Nourrir le chat a défrayé la chronique en 2023.