« Vive le Ric ! » C’est un véritable cri du cœur poussé par Éric Piolle en décembre 2018 sur Facebook. On est alors en plein mouvement des Gilets jaunes et le Ric (Référendum d’initiative citoyenne) fait partie des principales revendications.
Dix mois plus tard, un Ric est organisé à Grenoble, dans le quartier de la Villeneuve, posant la question « Pour ou contre la démolition des logements sociaux ? » Cette expérimentation démocratique entend donner la parole aux habitants sur la menace de nombreuses destructions d’immeubles voulues par l’Anru (Agence nationale de la rénovation urbaine).
C’est pas un truc à l’arrach’, mené par une poignée de militants isolés. Tout a été soigneusement organisé : une cinquantaine de bénévoles sont mobilisés pour tenir trois bureaux de vote de 11 heures à 19 heures une semaine durant, des listes d’émargement ont été dressées à partir des noms sur les boîtes aux lettres, une carte d’identité et un justificatif de domicile sont demandés à chaque votant, des observateurs passent pour vérifier qu’il n’y a pas de fraude.
Et pourtant, la mairie refuse de soutenir cette initiative. Les organisateurs, un groupe de travail du Conseil citoyen du quartier, lui ont pourtant demandé une « aide humaine et matérielle pour la bonne tenue du Ric et de participer à son contrôle ». Mais les élus ont catégoriquement refusé pour ne « pas remettre en question les avancées de la convention Anru ». Au conseil municipal du 23 septembre, Piolle a même torpillé ce Ric en arguant que « cette initiative ne contribue pas à vivifier notre démocratie. C’est ajouter de la défiance à la défiance et c’est au final discréditer le Ric. »
Qu’il est cocasse de réécouter Piolle dans sa vidéo de décembre 2018 : « Le Ric est un super outil, qui permet aux citoyens de faire accélérer les élus, ou de mettre un véto sur une politique qui ne va pas. C’est l’avenir. La société est en avance sur les politiques. (…) Ici à Grenoble, on espère que ça va bouger. Mais ça ne nous empêche pas d’agir. »
Sans moyen ni soutien public, le Ric de la Villeneuve s’est quand même tenu. 526 votants, soit 23 % des habitants dans ce quartier où le taux de participation aux élections est rarement supérieur, 70 % des votants contre les démolitions. « Une grande réussite » pour les organisateurs, un non-évènement pour les politiques. Comme pour toutes les contestations ayant émaillé son mandat, Piolle n’a pas fait le moindre signe en direction des habitants mobilisés.
On avait déjà évoqué cette histoire dans le précédent numéro, mais on la souligne parce qu’il s’agit d’un cas d’école de tartufferie. Il mériterait d’être enseigné dans toutes les écoles de politiciens.
Il y a évidemment du Tartuffe dans presque chaque personnage politique. Chez Molière, le Tartuffe est un faux dévot, un imposteur qui prétend être ce qu’il n’est pas. Dans nos sociétés modernes, les politiques promeuvent une image souvent éloignée de leurs pratiques. Éric Piolle est devenu dès mars 2014 un spécialiste en la matière : alors qu’il se présente comme un modèle d’audace, nombre d’habitants grenoblois se heurtent à une pratique du pouvoir très classique à base d’autoritarisme et de langue de bois (voir notre dernier numéro).
L’approche des élections municipales a fait entrer le maire de Grenoble dans une nouvelle dimension politique nationale. L’union de la gauche à la grenobloise est érigée en modèle dans beaucoup de villes françaises. Le député-reporter François Ruffin en a fait un modèle du « Front populaire écologique » qu’il entend construire.
Ce rouleau-compresseur médiatique et militant occulte tout regard critique sur le mandat de Piolle : si on n’est pas enthousiasmé par cette « union de la gauche », c’est qu’on joue le jeu des « méchants ». Et pourtant il y a tant à apprendre des errements de Piolle : pour « grandir ensemble », les militants désirant s’inspirer du « modèle grenoblois » devraient plutôt étudier les ratés et les manquements de la municipalité rouge-verte que gober bêtement sa propagande.
Certitude d’avoir raison, mépris des habitants et des militants ayant fait la campagne, instrumentalisation de la justice et procédure-baillons, unanimité obligatoire dans le groupe d’élus, mesures d’austérité s’attaquant aux bibliothèques et aux services publics, promotion de la métropolisation, mal-être au travail pour les agents municipaux, travail main dans la main avec les multinationales, soutien actif à une extension d’autoroutes, etc. : ça fait cinq ans et demi que Le Postillon documente le côté « obscur » de la municipalité Piolle sans que ça soit relayé au niveau national.
Il ne faut ni désespérer Billancourt, ni le peuple de gauche : les pudeurs de gazelle de la presse de gauche à l’égard des ratés du « modèle grenoblois » sont parvenues à faire disparaître des radars médiatiques les critiques et les grandes déceptions que le mandat de Piolle a suscitées localement. Pour beaucoup de sympathisants de gauche au niveau national, Piolle a « ouvert une brèche » mais la seule réalisation qu’ils savent citer quand on leur pose la question est « la suppression de la publicité des rues grenobloises ».
Mais même sur ce sujet, les récentes décisions de la métropole de Grenoble, où le groupe de Piolle peut défaire la majorité, vont dans le sens opposé. Le SMTC (syndicat mixte des transports en commun), présidé par l’élu EELV grenoblois Yann Mongaburu, vient en effet de signer un contrat avec JC Decaux pour les douze prochaines années et le projet de RLPI (règlement local de publicité intercommunal) est très conciliant avec les publicitaires.
Dans un communiqué (18/11/2019), l’association Paysages de France s’insurge : « Ce projet, sur de nombreux points, tourne le dos à tout ce qu’il faut faire en la matière, y compris au regard de l’urgence écologique. Un comble pour une métropole qui ambitionne d’être à la pointe du combat contre le dérèglement climatique et se propose de “relever le défi climatique” avec son plan air énergie climat ». Les griefs sont nombreux : autorisation de panneaux numériques JC Decaux (poser un seul panneau numérique c’est comme poser 20 à 30 panneaux au même endroit) ; installation massive de panneaux lumineux sur les trottoirs ; abolition des mesures de protection instaurées par le Code de l’environnement dans le site patrimonial de Grenoble ou dans les périmètres de protection des monuments historiques ; autorisation des enseignes lumineuses sur toiture de 40 m2 et 60 m2 dans certaines zones, etc.
Paysages de France souligne la grande victoire obtenue par Decaux grâce au nouveau contrat avec le SMTC et le projet de RLPI. « Quelle “carte de visite ”, en effet, que le nom de Grenoble ! Grenoble, la ville symbole de la lutte contre les effets délétères de l’affichage publicitaire. Grenoble, la ville symbole de la mobilisation en faveur de la transition écologique. Une “marque” que le n° 1 mondial de l’affichage publicitaire pourra, si rien ne vient en travers de cette machine infernale, continuer à exploiter à satiété. »
Pendant ce temps-là, Piolle fait le beau dans Socialter (octobre 2019) en affirmant que la suppression de la publicité est la « décision dont il est le plus fier ». Dans son bouquin Grandir ensemble (voir page 9), il pérore : « Tenir la promesse de la COP 21, c’est assumer de donner à la puissance publique le rôle de “bloqueuse de publicités”. »
Dans la pièce de Molière, Orgon est le personnage dont Tartuffe-le-dévot abuse la confiance et essaie de séduire la femme. Libre à Ruffin et toute la gauche nationale de jouer Orgon dans la pièce qui se joue à Grenoble.