Dans la Bièvre, on trouve des champs verdoyants, de vastes forêts, d’étroites routes départementales qui serpentent dans le paysage et... Yannick Neuder. Depuis deux ans, l’intercommunalité qu’il dirige rassemble 55 communes, qui comptent presque toutes moins de mille habitants : « On est obligé de se regrouper à cause de la baisse des dotations : cela nous a permis de maintenir du service au public », assure Neuder, maire de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, président de la communauté de communes, vice-président de la Région, président de l’AEPI (Agence d’études et de promotion de l’Isère) en plus de ses activités de cardiologue. En dix ans, il a multiplié les fusions jusqu’à être président de la communauté de communes Bièvre-Isère et ses 54 000 habitants. « Il ne faut surtout pas grandir pour grandir, et ce n’est pas la taille qui compte », affirme Neuder tout en lâchant : « Vu de Grenoble, les territoires comme les nôtres ont du mal à exister. »
Pour exister, il n’y a pas que l’intercommunalité. La mode des communes nouvelles vise le même but. Ainsi, le maire de Saint-Geoirs, une commune limitrophe de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs, parle d’une fusion en janvier 2018. « Il s’agit d’anticiper un regroupement qui deviendra obligatoire du fait des finances municipales ou des évolutions législatives », assure Yannick Neuder d’accord avec son voisin. « La fusion a été proposée par le maire de Saint-Geoirs et je trouvais que ça avait du sens », explique Neuder aujourd’hui.
Mais les habitants ne lui donnent pas de blanc-seing. Le collectif « Les amis de Saint-Geoirs » s’intéresse à la question et son analyse est sans appel. « On s’est moqué de la population dans ce processus, cela s’est passé seulement entre les deux maires », témoigne Emmanuelle Geneviève, qui a pris la tête de ce rassemblement.
Caresses et pressions
Élue municipale à Saint-Geoirs, Emmanuelle Geneviève participe aux réunions sur la commune nouvelle : « J’ai perdu mon temps, car je n’ai obtenu aucune information. C’était juste du recensement des deux côtés », s’emporte-t-elle. Pour mobiliser ses concitoyens, elle organise une réunion publique en avril puis une deuxième, plus tendue. Yannick Neuder la remarque et l’invite à un rendez-vous informel. « Si vous vous mettez en mouvement dans le processus de fusion, vous rentrez dans la majorité élargie de Saint-Étienne et vous gagnez votre place éligible » dans la commune nouvelle, lui susurre le président, selon elle.
« Il sait brosser les gens dans le sens du poil. Mais c’est du chantage et de la manipulation », réagit Emmanuelle Geneviève qui garde son indépendance, au risque de passer pour une opposante même si elle appartient, comme Neuder, à LR. En juin, il montre un visage moins conciliant. Lors d’une réunion à l’école, « intimidations et menaces étaient au programme de la soirée », affirme un parent d’élève après avoir rencontré Neuder et d’autres élus.
Le même mois, une réunion regroupant les deux conseils municipaux est convoquée pour présenter le projet au sous-préfet de Vienne. Présente, Emmanuelle Geneviève en profite pour questionner le représentant de l’État, ce qui déplaît fortement au maître des lieux, Yannick Neuder.
« Je vous invite à la précaution, et à du savoir-être ! On ne peut pas se contredire comme ça [...] on ne contredit pas un préfet », prévient-il. Emmanuelle Geneviève se sent concernée, et griffonne sur son carnet. « Ce n’est pas la peine de noter ce que je dis, parce qu’on est en majorité municipale. [...] Je veux juste que vous fassiez attention, après ça ne me dérange pas du tout, mais attention », reprend le maire d’un ton sec. « C’est le dictateur dans toute sa splendeur », affirme Emmanuelle Geneviève en se repassant la scène. Yannick Neuder évacue : « Il y en a toujours qui parlent... mais non, ça n’a pas de sens parce que je n’avais pas d’intérêt dans la fusion. Si elle se faisait, j’étais content, si elle ne se faisait pas, j’étais content aussi. »
Tenir ses troupes
Pour savoir si la réaction de Yannick Neuder était isolée, on s’est tourné vers les maires et vice-présidents de la Bièvre-Isère. Certains le côtoient depuis des dizaines d’années, et peu souhaitent s’exprimer. « J’aimerais ne pas apparaître dans l’article, sinon je suis mort », pour Pierre*. François*, lui, assure : « Il est à la Région, et il a la possibilité d’empoisonner le monde. »
Le président de communauté de communes en impose. « Le conseil communautaire, c’est une chambre d’enregistrement. Les élus sont tout le temps briefés. Le problème, c’est que tout passe par le président, pour qu’il puisse analyser. Vous n’avez pas votre mot à dire, et si l’on dit un mot, ça se passe mal », témoigne François, qui estime que la personnalité de Neuder est en cause. Pierre conclut, sombre : « Il va passer son temps et son énergie à savoir qui a parlé, car il a une manière autoritaire de gérer. » « Certains vont être contre, d’autres pour, d’autres pour, mais contre parce que c’est moi qui l’ai fait », prévient Yannick Neuder, toujours détendu.
En tout cas, le changement d’échelle questionne les maires : « Dans la communauté de communes, ce n’est pas Yannick Neuder qui mène les vice-présidents, ce sont les techniciens derrière. La communauté de communes, c’est une usine trop grande », soupire Julien*. Paradoxalement, Yannick Neuder en convient : « Il y a un gros malaise chez les petits maires. Et la population ne voit pas bien à quoi servent les interco. Nous, on essaye d’être au plus près des gens », affirme-t-il. « Mais avec 800 élus municipaux, forcément il ne peut pas y avoir la même proximité », conclut le président.
Or, c’est bien à l’échelon municipal que les Français sont le plus attachés. L’intercommunalité, elle, sert un autre but. « Je me demande si ce n’est pas par ambition qu’il a créé cette communauté de communes. Il fait tout par ambition et veut s’imposer. Mais sur le fond, sur la cohérence de ce qu’il veut faire, je ne vois pas. Si ce n’est de se mettre en avant », d’après Lionel Roudier, opposant à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs.
Les Stéphanois se rebellent
Certes, prendre le devant de la scène expose aux critiques les plus virulentes. Celles de Marina Vivier, opposante stéphanoise au maire - elle s’est présentée aux dernières élections municipales - sont vives, elle parle elle aussi d’un « dictateur ». Pour elle, le maire fait seul, sans consulter, et seule la justice peut l’arrêter. Le 4 octobre 2018, une décision du tribunal administratif tombe : le permis d’un projet immobilier est annulé. « Yannick Neuder voulait empiler les logements sur trois étages, sans respecter ses propres règles du PLU (Plan local d’urbanisme). Il souhaitait juste un bloc de béton », ironise Marina Vivier qui a déposé le recours au tribunal. Le bâtiment de trois étages, qui devait s’installer à côté du centre-ville historique, ne se fera pas. Et Lionel Roudier de citer une histoire similaire sur un clos paroissial en 2011, ou sur les halles historiques de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs. Marina Vivier ironise : « Je l’appelle “l’élu béton”, comme ces maires dans les années 60 pour qui c’était la modernité et qui en mettaient partout. »
À peu de choses près, le scénario s’est rejoué autour de la fusion des communes. Le 8 juillet 2018, les habitants des deux villages votent lors d’une consultation. Tandis que les Stéphanois désertent les urnes, Saint-Geoirs est majoritairement contre. « C’est une victoire. Yannick Neuder a payé ! », jubile Emmanuelle Geneviève, après avoir subi la pression des édiles.
Gageons que Yannick Neuder ne va pas ruminer son échec. « Je trouvais que ça avait du sens, mais je ne voulais pas le faire contre l’avis des gens », affirme l’élu qui a annoncé quitter son poste de maire en 2019. Le nouveau président des LR 38 a d’autres objectifs, et il trouvera toujours un prétexte pour parvenir à ses fins. « Si on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage » aime à répéter l’élu stéphanois. La rage, Yannick Neuder l’a assurément.