11/05/2015 : Récidive
Ce lundi, trois affaires très semblables se succèdent : à chaque fois, une personne en état de récidive est jugée et envoyée en prison ; à chaque fois, il s’agit d’une histoire de vol et de violence, et à chaque fois les accusés sont sous traitement psychiatrique.
Monsieur W. est là pour vol avec violence, il est en situation de récidive. Il est sorti de prison au mois d’octobre ; il y avait fait une tentative de suicide. Monsieur W. se sent persécuté, présente des troubles psychotiques, et suit un traitement de désintoxication. L’avocat plaide pour que son client soit dirigé vers une alternative à la prison.
Le procureur annonce que « Monsieur W. doit être neutralisé », il demande un mandat de dépôt et dix-huit mois ferme. L’accusé sera inculpé et devra purger quatre mois ferme dans le cadre de la récidive.
Les deux détenus se croisent, l’un s’en va à l’arrière attendre la délibération, l’autre entre pour être jugé. L’équipe de police change en même temps que le détenu.
De nouveau : vol avec violence. Monsieur B. a été arrêté par un vigile pour vol d’une batterie auto et autres objets. À la suite de l’approche agressive du vigile, Monsieur B. sort une paire de ciseaux, puis s’enfuit en courant. Monsieur B. est très nerveux, il est lui aussi sous traitement : Laroxil, Valium, anxiolytique ; le médecin déclare que monsieur B. souffre d’une dépendance aux médicaments. Le procureur fait la sourde oreille : « Je veux bien entendre toutes les difficultés de Monsieur B., mais bien des gens ont des difficultés et ne commettent pas ces faits ». Monsieur B. est sous contrôle judiciaire en négociation d’une remise de peine suite à de nombreuses petites histoires de vols. Il prend six mois ferme et six mois de sursis et mise à l’épreuve.
Monsieur E. entre tout agité, il aperçoit celui qui l’a dénoncé : « Pour dix balles, je pars en prison ! Je t’en donne cinq cents, moi ! ».
Madame le Président ne relève pas et commence la procédure : état civil, adresse. Monsieur E. annonce qu’« [il] sort bientôt, cet été ». En fait, il est en liberté conditionnelle chez lui. Ce samedi soir, à 21h, après le coup de téléphone du conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, il est ressorti. Dans le centre ville, il a demandé de manière agressive dix euros à un jeune homme. L’agressé croise des policiers dans la rue quelques minutes après l’altercation et le signale. Monsieur E. raconte une autre version : c’est lui qui se serait fait agresser par le jeune homme. Il interpelle Madame le Président : « C’est quoi qui est juste pour vous ? Moi je suis en prison, lui il est libre. J’ai une tête de délinquant, lui il parle bien, il est étudiant ».
On apprend que Monsieur E. est suivi par un psychologue à Varces, où il a fait une tentative de suicide récemment. Jamais il n’avait eu des conditions de détention aussi rudes (il a changé plusieurs fois d’établissement pénitentiaire). L’avocat commis d’office n’obtient pas gain de cause sur une alternative à la prison. Monsieur E. est condamné à retourner immédiatement à la maison d’arrêt de Varces pour quatre mois ferme et deux ans de sursis mis à l’épreuve.
21/05/2015 : Encore Charlie
Monsieur A. passe en correctionnelle pour avoir à Grenoble outragé et menacé de mort un officier de police : « Laisse-moi passer enculé de schmidt. Je vais te retrouver et te tuer ».
Le 11 janvier 2015, lors du rassemblement post-Charlie, Monsieur A. livre des « tacos » en scooter dans une rue condamnée par les policiers pour la manifestation. Les deux protagonistes tiennent des versions totalement différentes.
Selon Monsieur A., l’agent de police, après insistance, l’a laissé passer. À ce moment, Monsieur A. aurait dit à l’agent de police : « Quand on veut, on peut ». Ce qui a énervé le policier, qui lui a mis une claque sur le casque. Alors, Monsieur A. s’est arrêté, et le policier a voulu le fouiller.
Le policier, lui, soutient que Monsieur A. a voulu forcer le passage et l’a insulté. Il ajoute que « ce jour-là, c’est le seul incident à [sa] connaissance, la plupart des gens sont plutôt venus [lui] serrer la main ».
Madame le Président : « Monsieur A., que pensez-vous de la version de l’agent de police ? »
Monsieur A. : « C’est triste qu’un policier mente. »
Madame le Président s’intéresse aux antécédents judiciaires. Monsieur A. n’en a aucun, il est en première année de BTS, et travaille en parallèle pour payer ses études. Par contre, l’agent de police en possède : il a été inculpé dans une affaire de faux et usage de faux. On n’en sait pas plus (un malaise se fait ressentir dans la salle).
L’avocat de l’agent de police commence sa plaidoirie sur un ton de tristesse : « Demain ne sera plus jamais comme hier… Les policiers marchaient main dans la main avec les citoyens. C’était un défilé impressionnant, derrière la banderole « liberté, égalité, fraternité » se trouvaient deux ministres. Monsieur J. (l’agent de police) avait des consignes claires pour ne laisser passer personne, encore moins un véhicule avec une caisse à l’arrière ; la personne aurait pu commettre un attentat et s’enfuir rapidement ».
Le procureur, tout en saluant les forces de l’ordre, émet des doutes : « En tant que procureur, je me dois d’être objectif, je ne peux pas dire qu’une version doit primer sur une autre, je laisse le tribunal décider. »
21/05/2015 : La fuite
Monsieur M. entre entouré de gendarmes. Il est actuellement en prison et est jugé pour avoir en décembre 2013, pendant son arrestation, tenté de se soustraire aux gardes avec violence. Placé en détention la veille, et malade, il a été amené aux urgences. Pendant la nuit, vers 1h30, il sort de sa chambre en blouse d’hôpital. Arrivé au fond du couloir, il jette sa blouse (en dessous il était habillé). Les policiers le rattrapent, mais il arrive à se soustraire à leurs mains. Il est retrouvé plus tard chez son ex-compagne.
Monsieur M. : « Je n’ai jamais violenté un policier, je les ai un peu bousculé. Et puis c’est eux qui m’ont violenté. [Les juges esquissent un sourrire]
Madame le Président : « Oui, mais vous étiez en train de faire quoi ? »
Monsieur M. : « Je m’enfuyais. »
Madame le Président (toujours le sourire aux lèvres) : « D’ailleurs, vous avez vingt-cinq condamnations, dont deux pour évasion réussie. »
Monsieur M. : « Fuite, moi j’appelle ça fuite [1]. »
Madame le Président : « Vous avez votre propre code pénal, le parquet ne fait pas la différence entre fuite et évasion. Revenons-en aux faits, pourquoi avez-vous essayé de vous évader ? »
Monsieur M. : « Je n’ai jamais eu une détention aussi difficile [en parlant de la maison d’arrêt de Saint-Quentin-Fallavier], ils me fouillent au corps à chaque visite, ils ont interdit les visites à ma femme et à ma fille. Je ne comprends rien, en même temps ils m’ont donné un poste d’auxiliaire [détenu qui aide au service]. »
L’avocat insiste sur la pression morale qu’il subit : « Les gardes vérifient sa cellule toutes les deux heures pour voir s’il n’est pas en train de s’évader ».
Sa peine prend fin en avril 2019, le tribunal y rajoute un an. Avant qu’il ne sorte de la salle, sa fille accourt pour l’embrasser.
08/06/2015 : « Une histoire de tee-shirt orange »
Vendredi soir, Monsieur T s’est fait arrêter à cause de son tee-shirt orange. Ce soir-là il transportait sur lui mille deux cents euros destinés à un ami. Les policiers l’interpellent car ils cherchent un individu qui s’est enfuit au cours d’une interpellation une heure auparavant avec du cannabis sur lui, et qui, lui aussi, portait un tee-shirt orange. Le montant est considéré par la police comme l’argent de la drogue.
Monsieur T. passe une nuit en garde à vue, il est accusé de trafic de cannabis. Le procureur demande huit mois d’emprisonnement, précise que « le trafic de stupéfiant est un fléau pour la santé publique » et que « Monsieur T. doit être neutralisé ». Le manque de preuve étant flagrant, le tribunal accorde la relaxe.
09/06/2015 : Arnaque de syndicat
Pendant près d’un an, le trésorier et comptable du syndicat SUD Santé-Sociaux Isère a détourné de l’argent du syndicat à des fins personnelles. Soit près de quinze mille euros, selon le syndicat, presque l’équivalent de la somme disponible pour un an d’activité pour le syndicat.
Au cours de l’été 2014, le secrétaire syndical de SUD Santé-Sociaux Isère s’aperçoit des transferts d’argent du compte syndical sur le compte du trésorier. Celui-ci faisait des virements sur son compte, signait des chèques pour lui, et utilisait différents moyens de paiement pour acheter une voiture, payer ses vacances, faire ses courses, acheter de l’essence, du gaz et jouer au poker en ligne. Le trésorier étant ancien gendarme, le secrétaire syndical se sentait « en toute confiance ». Le procureur souligne : « Au vu de la maladresse de l’accusé, je ne peux qualifier ce délit de ‘‘délinquance astucieuse’’… s’il était jeune, on aurait pu parler d’une bêtise. Mais cet homme a plus de cinquante ans ! ».
L’accusé est absent lors de l’audience (il a eu une panne de voiture). Son avocate a donc décidé de ne pas assurer sa défense. Par contre sa famille est présente, se sent concernée et a déjà commencé à rembourser l’argent au syndicat.
Outre le préjudice financier, le trésorier aura causé du tort au syndicat, d’après son avocat : « Il a menti en impliquant le secrétaire comme responsable du détournement d’argent. Il a fait disparaître des documents de comptabilité. Il a empêché la candidature du syndicat à l’hôpital de Saint-Laurent-du-Pont, et a causé de nombreux désistements d’adhésions ». Pour se blanchir, le secrétaire syndical demande la publication de l’audience sur un mur de l’hôpital de Saint-Laurent-du-Pont, ce qui lui sera refusé.
Le procureur demande un an d’emprisonnement avec sursis. Le tribunal le lui accorde et ajoute une condamnation financière de neuf mille euros, à la fois pour l’image et la réputation du syndicat, et pour rembourser les frais du syndicat. Malgré les remboursements accordés, la pilule ne passe pas pour le syndicat qui ne verra l’intégralité de la somme que dans quinze ans (cinquante euros par mois).