Un travail universitaire médiocre sur le Daubé nous est tombé dans les mains. Une chercheuse en Sciences de l’information et de la communication s’est intéressée à Grenews, le rejeton branché du Daubé [1].(Cf Le Postillon n°4) Elle est allée interroger les journalistes de ce « bi-media », produit médiatique hybride qui associe un hebdomadaire gratuit et un site Internet...
Qu’apprend-t-on de la bouche des journalistes de Grenews ? Que leurs conditions de travail sont difficiles mais que, paradoxalement, ils sont ravis de travailler pour un média « à la pointe de l’innovation ». Arrêtons-nous sur leurs conditions de travail. à Grenews, on compte seulement trois journalistes. Trois journalistes pour nourrir un site web et remplir la trentaine de pages d’un hebdo, c’est pas lourd ! D’autant que son grand frère, le Daubé, le quotidien en situation de monopole dans la région, emploie 250 journalistes – dont 40 uniquement à l’agence de Grenoble – et recourt massivement au service d’une armée de correspondants locaux payés des cacahuètes. Heureusement, Grenews bénéficie aussi de la main d’oeuvre gratuite des étudiants de l’école de journalisme de Grenoble, des dépêches de l’AFP et de quelques articles du Daubé pour alimenter en contenu le site et l’hebdo. Mais la maison-mère rechigne à dépenser plus pour des salaires et exige une « rentabilité immédiate ». Dans ces conditions, les qualités demandées aux journalistes sont multiples : productivité, réactivité et polyvalence. De jeunes journalistes en sous-effectif et surmenés... ambiance start-up, quoi ! Comme ils l’expriment eux-mêmes, tout cela est « difficile à gérer vu les effectifs extrêmement réduits de la rédaction (…) On se disperse beaucoup, on n’est pas assez formés, on n’a pas assez de temps pour tout faire, les horaires sont à coucher dehors ». Impossible dans ces conditions de faire du grand journalisme, d’autant plus lorsqu’on veut séduire son « coeur de cible », les jeunes, à base de sujets sur le bizutage, les soirées étudiantes ou les batailles de boules de neige.
Bref, la chercheuse nous dresse ici le portrait des journalistes en « forçats de l’info » [2]. Comme elle le souligne, « malgré la charge de travail et la disponibilité demandées, l’expérience est jugée stimulante, positive voire très positive par les journalistes de Grenews. Ils sont conscients d’être à la pointe de l’innovation par rapport aux collègues du quotidien, ils apprécient d’intégrer les nouvelles compétences qu’ils pressentent comme la norme du journalisme de demain. » Apprécier être « à la pointe de l’innovation » et expérimenter de nouvelles façons de faire du journalisme, voilà ce qui résume bien l’état d’esprit des jeunes journalistes de la génération Internet. Les journalistes de Grenews nous éclairent sur le marché de dupe du journalisme à l’ère numérique : parlez-leur d’un concept de nouveau média, donnez-leur un os technologique à ronger, mettez-leur un fil à la patte 2.0 et faites-leur croire qu’ils « réinventent leur métier », qu’ils « bâtissent le journalisme de demain », et le tour est joué. Ils ne compteront pas leurs heures, accepteront une énorme charge de travail et se satisferont d’être payés au lance-pierre. Finalement ils s’auto-exploiteront en y mettant un zèle tout particulier, heureux de faire ce qu’ils font... pour le plus grand bonheur de leurs patrons qui s’intéressent moins au journalisme de demain qu’aux euros d’aujourd’hui.