« Je suis allée travailler dans un de ces bars, parce que c’est légal et c’est très bien payé. Étudiante à l’époque, je bossais dans l’animation, où tu ne gagnes pas du tout la même chose. Là, ça peut monter à 2 000/2 700 euros par mois pour 7 heures de travail par jour.
Beaucoup de copines qui bossent dans l’animation ont vu ces annonces de travail d’hôtesse sur Leboncoin, sans franchir le pas, à cause de préjugés. Moi, j’ai trouvé le taf par une annonce Leboncoin, et mon patron était clean, contrairement à d’autres, qui forcent leurs hôtesses à la prostitution… Le principe du boulot, c’est une sollicitation sociale : de la compagnie. On parle autour d’un verre, du champagne souvent. Tu es là pour discuter avec des personnes qui veulent passer du bon temps. Je dormais la journée, et bossais le soir, quatre à cinq fois par semaine, rarement le week-end.
Et puis, il y a des prestations en privé, qui se déroulent dans une petite pièce fermée par un rideau, pour plus d’intimité. Il y a un canapé, une table basse pour poser la bouteille de champagne et les verres. Pour aller dans cet endroit, le client doit donc payer une « prestation », en l’occurrence c’est une bouteille de champagne, et ça équivaut à une heure de temps dans la pièce – la bouteille n’est qu’un prétexte.
Il y a d’autres prestations, les strip-teases (où le client ne peut pas toucher), les massages (pendant 20 min), etc. Pour chaque prestation, il y a un prix et nous les hôtesses, on prend un pourcentage. Le verre est à 12 euros pour le client, 8 euros pour une fille. Pour une heure en privé, la bouteille de champagne est à 300 euros. L’hôtesse prend 180. Le mieux, c’est le strip-tease. Ça dure 15 min, pour 150 euros, et la meuf prend 100. Bon, le strip faut le faire, mais c’est assez facile.
Quand un client arrive, il s’assoit sur une banquette et voit les filles une par une, selon leur ordre d’arrivée dans la soirée, et il choisit. C’est un peu malsain comme système, il faut arriver tôt, et espérer que le client te choisisse. S’il n’y a pas de client, il n’y a pas d’argent, car il n’y a pas de salaire fixe, tout à la com’. Parfois, tu attends 7 heures pour rien. Si des mecs débarquent juste avant 2 heures, t’es contente, t’es pas venue bosser pour rien.
Des fois, le client choisit une de ses habituées, en fonction du relationnel de chacun. Donc c’est un milieu légal, mais cela se rapproche vite de la prostitution. Parfois, le client propose de gros pourboires. Ce n’est pas obligatoire de dire oui, mais malheureusement, il y en a qui le font. C’est un choix. Ces pourboires dépendent de ce que tu fais avec le client dans la pièce.
Une fois, ça a été bizarre. Il y a eu un mec qui était un peu chelou. Un Anglais, je ne pige pas tout ce qu’il dit. On essaie de discuter dans le petit salon, et il me sort 700 euros, en disant, « est-ce que tu veux plus ? » Je lui explique que c’est un peu compliqué en dessous de 1 million. Il rigole, et du coup, il essaie de rallonger à 1 000 euros...
Il y a la prostitution, l’alcool et les drogues, et il ne faut pas tomber dedans. Moi, j’avais 21 ans quand j’ai travaillé là-bas, mais j’aivais un mental d’acier. Car, lorsqu’un client propose 1 000 euros pour une pipe, il faut avoir les couilles de dire non. Et ne pas avoir peur.
Les petites pièces où on s’isole posent rarement soucis. Les gens sont à côté, on n’est jamais toute seule. Je me rappelle juste de ce mec trop bizarre : un vieux qui venait souvent et qui était sadomaso. Son délire, c’était de marcher à quatre pattes dans le bar en jetant des billets. Il était dans son délire, faisait de mal à personne, mais c’était assez bizarre.
Je n’ai pas eu d’embrouilles plus que ça, je ne me suis pas sentie en insécurité. Faut dire que mon mec venait me chercher tous les soirs pour me ramener à la maison, et faisait pareil avec mes collègues.
Il y a aussi des trucs sympas, comme des soirées déguisées. Il y a parfois des gros groupes qui viennent, notamment des militaires et qui prennent plein de prestations. C’est drôle, ils rentrent de mission, ils ont plein de thunes, et du coup, ils rincent tout le monde.
Là, ce n’est pas les petits vieux qu’on a l’habitude de voir, parfois ce sont de beaux gosses. Moi j’étais une hôtesse comme les autres. J’ai réussi à avoir des habitués, des mecs qui viennent pour moi. J’ai choisi ceux qui étaient de petits jeunes, ou des gens qui avaient l’air plutôt sains. La plupart du temps, j’avais l’impression de passer la soirée avec un pote, sans me forcer. C’est plutôt convivial. Chaque client entre dans une typologie. Les jeunes, c’est comme des potes avec qui tu discutes, de leurs études, de trucs comme ça. Les mecs qui ont la cinquantaine parlent toujours de leurs enfants, « je leur paie leurs études, blabla ». Les petits vieux racontent leur vie et leur jeunesse passée.
Je n’ai pas gardé mon vrai prénom. Les premiers jours, je me trompais de nom, c’était drôle. Faut quand même le vivre. Il ne faut pas critiquer une nana qui va dans ce domaine. On est bien payé mais on doit vendre un peu de son âme et de son corps. Parce que derrière, j’en ai retrouvé dans des états assez pitoyables. J’ai revu une de ces filles devenue toxicomane. Elle faisait ce travail pour la dope. Elle est tombée enceinte, mais finalement a subi une fausse couche. Elle n’avait pas réussi à se sevrer.
L’un des gros hics, évidemment, c’est l’alcool. Car même si ce n’est pas vraiment ce qui compte dans le bar, tu finis par boire tous les soirs où tu bosses. Ça m’a détruit la santé, et j’étais très fatiguée. Parce que tu es censée finir à 2 heures du matin, mais parfois si des clients arrivent un peu avant, tu restes, et ça peut rallonger de beaucoup.
Une autre s’est mise à sortir avec les mecs qui venaient au bar, mais en dehors. Une autre faisait ce travail pour le plaisir, purement. C’est une question d’image aussi, parce qu’on te fait beaucoup de compliments, « oh comme tu es belle », etc.
Une collègue est devenue accro à l’argent facile : elle n’a pas réussi à quitter le bar. C’est sûr que tu gagnes beaucoup d’argent, alors quand il s’agit de reprendre un travail à Intermarché, c’est dur.
Moi aussi, ça a été dur. Je voulais le faire qu’un seul été. Mais l’année suivante, je n’ai pas eu très envie de faire de l’animation, et j’ai recommencé le bar. À un moment j’ai voulu me payer une voiture en cash, alors j’ai travaillé plus. Faut pas être dans l’esprit d’avoir besoin de ces sous, mais plutôt d’en avoir envie. Si tu en as besoin, t’es foutue.
Avec les filles, je l’ai vécu comme un groupe d’amies, avec de l’entraide et de l’entente. On ne se raconte pas trop ce qu’il se passe avec les clients, mais plutôt les anecdotes rigolotes. Il y a rarement eu des embrouilles. On a fait une énorme soirée avec des Italiens, on a fait toutes plein de strip-tease, c’était facile, l’argent coulait à flots. La patronne n’était pas là, donc on gérait la soirée nous-mêmes. En étalant les billets sur la table, on se rend compte qu’il y a eu un vol. On a soupçonné la meuf responsable de la caisse, sans savoir la vérité. Finalement, une autre fille a avoué plus tard. Elle avait des problèmes de jeu, et aurait volé pour ça… Ça a créé beaucoup de problèmes.
Parmi le style des filles, il y avait une tatouée, une noire, une rousse, une blonde aux cheveux courts, une asiatique : beaucoup de diversité. Et puis, il y a la barmaid, une femme, une ancienne du bar. C’est un peu comme notre maman, qui prend soin de nous, et parfois nous évite de boire une énième coupe.
Quant à mon mec, j’ai toujours été claire, et il a respecté mon choix. Mes parents aussi, même s’ils n’ont pas très bien pris les choses au départ. Parmi mes amis, par contre, très peu savent ce que j’ai réellement fait ces dernières années. »